Explorant ce réseau j’en déduis trois premières conclusions.
1- Il est utile dans un monde numérique incertain et improbable de conforter des rencontres de visu, sans enjeu précis, simplement pour aller à la découverte de ce que chacun(e) peut amener comme ressources… L’exercice est difficile ; la dite plateforme étant plutôt centrée sur les milieux de le recherche et sur la créativité culturelle.
* Cela consomme du temps hommes… Il faut en contrepartie une forme de valeur ressentie, pour en maintenir l’intérêt. Pour l’heure, j’y trouve une certaine capacité à l’écoute des autres, à l’attention et au respect des idées dans la diversité des regards. Attitude souvent absente du monde internet où le buzz est roi souvent simplement pour la valorisation des egos… sans forcément amplifier des contenus de qualité. Il n’y a pas que les journalistes qui font du copier / coller !
* La pratique de ce réseau est traditionnelle, mais se rapproche un peu des « mousses » et autres types de rencontres de visu, qui égrènent en parallèle le monde des afficionados du numérique.
* A la différence de ces dernières, plutôt dans des cafés ou des lieux à posture numérique (cantines, télécentres, coworking), les rencontres ci-dessus font l’effort de l’immersion dans des lieux divers comme une galerie d’art, le hall d’accueil d’un théâtre…
2- Les regards partiels en analyse et contextualisation au vu du monde numérique acentré qui s’affirme.
* Vision classique du « territoire » comme espace de référence (connaissance, compréhension, concept)… ou encore espace géographique, voir géopolitique avec certes des ouvertures vers les approches littéraires.
- Plus généralement, soulignait fort justement un des participants, Christophe Guillouet Architecte, le terme « Territoire » est devenu un mot valise attrape tout… En particulier quasiment rien sur la bonne échelle des créativités, des intelligences etc.
- Encore moins sur l’importance des territoires de communautés, des pratiques nomades numériques déterminant de nouveaux arpentages / maillages des territoires physiques ou de convivialité [2].
- Plus simplement, il faudrait préciser si le territoire en lien avec la créativité est celui de Georges Brassens « Mon Arbre »… A moins d’être celui des « guerres pichrocholines » évoquées dans « Au pays de Dhôtelland ? » . Texte parlant à juste titre de la Société d’Histoire et d’Archéologie, mais aussi du grand et merveilleux réservoir lexicographique… qu’était la toponymie ardennaise : « A la place des toponymes qui parlaient à la mémoire et à l’âme de chacun règne désormais la redondance de la « signalétique » moderne. »
- Les territoires de créativité sont-ils encore ces « Pays » à la mode… qui « étaient le refuge de l’âme, la ligne d’erre des poètes, le pli et les replis de nos songes, la force de nos faiblesses, l’intimité de la chose publique et la lisière de nos joies et de nos angoisses : ils vont être livrés au maëlstrom médiatique, à la curiosité sans mémoire ni projet, à l’obstination et aux calculs des arpenteurs, à l’obsession narcissique qui est la marque de l’époque. » [3].
- On est loin des questionnements sur ce carcan de « l’espace de la page » forme « territoire » évoqué par Michel Serres dans son ouvrage Petite Poucette (P31 et suivantes). A relire dans la même veine, le propos de Daniel Boorstin, concernant au fond « les limites du territoire mental », dans Les Découvreurs : « Le principal obstacle à la découverte de la forme de la Terre, des continents, des océans, n’a pas été l’ignorance, mais l’illusion de savoir. »
- Reste l’intérêt de situer le territoire dans ses composantes littéraires pour Barbara Tannery - Galerie du Buisson , mais aussi dans sa vision olfactive selon Youmna Tarazi (Olfactologue). Ces deux entrées confortant les volets identitaire et d’intimité, mais aussi la présence… jusqu’à l’exil.
- André Brouchet (Club et Association des Eco Business Angels) mentionne aussi le Capital Immatériel des Territoires… en y situant les talents évoqués par Christian Lemaignan.
- Reste dans le contexte numérique la place du Lieu-Dit et de l’Anecdote qui reprennent probablement du sens et véhiculent une autre présence comme lieu de rencontre, de mémoire, de confrontation des regards, dans les territoires physiques, numériques ou nomades… invitant au bavardage sous forme de tweets ou de sms / mms avec langage et écriture propre ?
* On regrette aussi la non compréhension des mutations en cours… situant la richesse humaine, financière, sociale, les fonctions échanges et marchés à partir des demandes avec conjointement une éclosion de valeur. Ces nouvelles tendances interrogent la pertinence du seul regard sur une offre exclusive de porte-voix, de sachant… avec son corollaire de l’écoutant subissant le « Tais toi » ; y compris pour faire face aux choix de politique industrielle organisant l’obsolescence programmée [4] et [5] : « Les consommateurs… doivent réapprendre à considérer un objet pour son usage et non plus pour sa signification sociale et adapter leur comportement » via le « Make It Up » [6] dans la ligne du Do it yourself.
* Réflexions également bien loin de cette remise en cause de l’utilité du « concept abstrait »
Cf (P45 et suivantes) qui sied à la posture des sachants…
* Dommage encore, la non affirmation centrale d’un lien entre créativité, territoires et entrepreneuriat
… alors même que l’internet bruisse d’idées en tous genres [7]. En somme que faire d’éventuelles créativités émergeant des territoires ? - Le caractère plutôt chercheurs de ce réseau Créativité et Territoires, explique peut-être cela.
* Plus généralement, si le réseau évoque lors de ces rencontres des réalités et regards divers, il aborde peu d’autres façons de penser et de vivre
… qui font que Petite Poucette est parfaitement à l’aise dans ce monde acentré qui conforte les désordres et préfère le disparate au classement.
Cette question de fond sur la capacité créative des rencontres, sur le rôle du désordre… est latente dans ce type de moment. Certes il y a déjà mise en réseau et interpellation des intelligences sur des contenus du fond… même si certains nous paraissent classiques voir convenus… Mais on ne peut dire que la méthode soit en elle-même facteur de créativité… Disons qu’il s’agit plutôt de processus observant en partage, utile ; mais dans une optique de chercheurs ou d’observateurs d’une société en mouvement.
3- « Le monde a tellement changé que les jeunes doivent tout réinventer : une manière de vivre ensemble, des institutions, une manière d’être et de connaître… »
* Ainsi parle Michel Serres, en sous-titre de Petite Poucette, situant parfaitement les enjeux modernes de la créativité et de l’intelligence collective [8]…
Reste la question de la forte différenciation d’employabilité et d’aptitude des individus ou des contextes qui ne sont pas toujours et pleinement en capacité d’aller dans ces deux directions…
Il y a encore nombre de jours et de situation où pourra être affirmé : 1+1 ≠ 3 !.* Le monde est acentré.
Cela conduit M.Serres à affirmer en l’absence de centralité : « Fin de l’ère du savoir »… « Fin de l’ère des experts »… « Fin de l’ère des acteurs »… « Fin de l’ère du décideur »… reprenant au fond ce qu’Alfred Jary dit via Ubu Roi à une autre époque : « A la Trappe ! » [9]
* Cette fin de l’ère du savoir fut l’un des éléments d’échanges… entre :
- un regard invoquant la nécessité de connaître les humanités avant toute apprentissage de l’architecture,
- un autre invitant plutôt à l’exercice du regard comme facteur pédagogique, en prenant l’exemple de la découverte de la rose des arts libéraux en la cathédrale de Laon.
Petite Poucette n’a plus besoin du savoir total dont elle peut picorer toutes les composantes sur le web… mais bien davantage des liens, des points d’entrée / sortie des items de la connaissance… L’enjeu est bien davantage dans l’art de la pédagogie pour assurer sa propre courbe d’apprentissage et forger son opinion.
On rejoint la question des méthodes et du rôle même des éducateurs… A méditer peut-être cette citation sur l’instruction : « A un enseignant qui me disait »notre métier n’est pas d’éduquer mais d’instruire… je lui ai rappelé la circulaire de Jean Jaurès : Vous enseignez moins ce que vous savez que vous n’enseignez ce que vous êtes » - Edgar Pisani.* L’économie du « Low Cost Numérique » doit interroger de plus en plus…
De façon plus ou moins rampante, ces nouveaux horizons forgent des contextes locaux non monétaires et de nouvelles valeurs : du Développement local, de l’entrepreneuriat et des communautés de proxilité ?"… A distinguer de la gratuité dans certaines expériences locales Ces villes qui expérimentent les services publics gratuits.
* Penser à une posture possible comme Horizons à découvrir
A l’instar des découvreurs de Terres Inconnues dont parle si bien François Bellec [10] : "la fraîcheur des émotions sincères, des émerveillements … leurs motivations nobles, leur fierté parfois arrogante, leur assurance, leur triomphe et leur gloire. On y déchiffre aussi, entre les lignes, leurs doutes, leur lassitude, leurs peurs, leur désarroi, leurs échecs et parfois leur détresse ».
* Topographie de l’art à libérer au gré des parcours de nos découvertes.
- A ce titre les Parcours d’art proposés par Olivier Mauchauffée, semblent des parcours d’éveil et de rencontres pour se familiariser avec l’art contemporain… ; en cheminant à pied dans une sélection du meilleur de l’actualité artistique dans les galeries de Saint-Germain-des-Prés à la rencontre des artisans et de leurs fonds d’ateliers.
- Ce type de cheminements pourrait inviter à la créativité sur de nouvelles façons de découvrir dans un contexte partagé et apaisé nos espaces publics bruissant de moult mobilités professionnelles ou personnelles… à coup de marche à pied, vélos et autres modes doux… quand ce ne sont pas les modes durs et bruyants…
- A quand une créativité artistique, fonctionnelle, théâtrale, éducative, littéraire, sonore, visuelle, interactive… occupant de façon éphémère ou pérenne non seulement nos voiries et espaces attenants - Pour Tous - ; mais encore tous ces lieux d’interconnexion - aujourd’hui trop souvent limités à du verdissement ou des références à l’histoire - sans nom et demain interagissant avec nos téléphones mobiles. Cf Comment initier une dynamique locale « Horizons Voirie-Pour-Tous » ?.
* Libération des créativités, investissement par l’économie de la dette ou par celle du don ?
La question des alliances… et des signes de reconnaissance…
- Dans son propos, l’une des participantes Barbara Tannery - Galerie du Buisson - en dialogue avec André Jaunay, s’interroge sur la relation entre la capacité créative (culturelle ou autre) et le positionnement « à partir de la dette » des réseaux pouvant financièrement aider.
La question du financement des énergies créatives pouvant selon elle se faire aussi à partir de postures différentes comme le don…- A ce titre, il faut relire ce qu’écrivait, comme regard essentiel sur le rapport à l’autre, Lucien Sfez en commentaire [11] de l’ouvrage de Marcel Hénaff : Ce dernier « défend l’idée qu’entre le donner et le rendre, c’est l’initiative du donner qu’il faut interroger, dès lors que le don n’est pas, comme nous avons coutume de le penser, un fait d’évidence morale. Ce qui compte du point de vue du noème du don cérémoniel, c’est le premier geste, celui du défi adressé à l’autre d’entrer en reconnaissance, l’appel qui lui est lancé, depuis le don non d’un bien mais de soi-même ou de »quelque chose de soi« qui en tient lieu, qui oblige l’autre à en faire « autant », non dans une égalité proportionnelle des présents, mais dans une asymétrie tenant à l’inévaluable et qui vaut signe de reconnaissance. En cédant à l’autre, je m’allie avec lui et je l’oblige (d’une obligation qui n’est ici ni morale, ni juridique) à l’être-en-commun du lien social ».
- Marcel Hénaff lui-même s’exprimant ainsi dans Le Prix de la vérité : Le Don, l’argent, la philosophie [12] : « Faire communauté, c’est devenir une société de com-munia, c’est à dire de dons (munia) partagés. » ; ou encore « La finalité du don n’est pas la chose donnée (qui capte l’attention de l’économiste), ni même le geste du don (qui fascine le moraliste), il est de créer l’alliance ou de la renouveler ».
- L’enjeu des créativités en contexte numérique acentré, s’exprimant dans divers territoires aux échelles et composantes multiples, ne semble plus devoir, selon moi, se nourrir seulement de bonnes pratiques, d’expérimentation, ou encore d’incantation, de bonne ingénierie [13], de financement mais bien davantage dans le : qui en a l’envie et les capacités, sur quoi, vers qui… et surtout comment faire alliance entre celles et ceux qui échangent, à ce titre, des signes de reconnaissance !
* Open Knowledge Foundation - “Le savoir rend-il heureux, le savoir rend-il libre.”
Primavera De Filippi invite à proposer des projets culturels véhiculant les savoirs libres…
Cela interpelle à deux niveaux :
- Le réseau internet éveille nombre de préoccupations utiles mais qui souvent, quittant le domaine de la proximité…, en arrive à être peu agiles ; quant ce n’est pas à véhiculer des pratiques convenues. Il suffit à ce titre de regarder les réseaux de la gouvernance d’internet dont certains sont des chapelles sous le titre de « Chapitre » comme pour l’Isoc…
- Plus sérieux, le numérique, tout en facilitant le comportement de « Petite Poucette », ne déroge pas aux risques du savoir sachant… Heureusement, la diversité et la capacité du réseau internet amplifient ce qui est désordre et disparate ; et s’opposent à d’autres forces ayant pour objet de classer, d’ordonnancer…
Là ou la question de la liberté se pose c’est dans l’usage des codes, des algorithmes structurant ou donnant accès à des bouts comme à des interconnexions de savoirs. Les mouvements Open Data ou Libre véhiculent des horizons qui se veulent d’espérance et de liberté… avec une vision humaniste souvent projetée plus que vécue et partagée dans les faits.
Si vous souhaitez poursuivre la conversation « Créativité et Territoires - Topographie de l’art - Points en suspend », m’écrire. Vous pouvez aussi rejoindre le groupe « Créativité Entrepreneuriat Employabilité Développement Local Numérique » sur les réseaux sociaux Viadeo et Linkedin.