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Ce petit livre pose la question de la création et des créateurs replacée dans le cadre des territoires en tant que lieu d’émergence de la pensée créative. Initiative intéressante et originale.
En effet, il existe de nombreux ouvrage sur la création « en soi ». En général, ces ouvrages exposent la vie de grands artistes, ou de peseurs, écrivains, en faisant quelques allusions d’usage sur les origines de l’artiste, ses origines familiales et sociales. On apprend alors que tel artiste vient d’un milieu social donné, et qu’il a vécu ses premières années dans telle ou telle localité. Ensuite, on passe aux choses sérieuses, c’est-à-dire l’émergence de l’artiste, son itinéraire personnel et intellectuel pour aboutir à la présentation de son œuvre, à son rayonnement et son influence sur l’activité artistique de son époque. Tout se passe comme si l’artiste ne devenait artiste, au sens d’une personne reconnue par la société comme telle, qu’à partir du moment ou il se détache, se sépare de ma matrice originelle, qu’elle soit familiale ou territoriale. Faute de quoi, il semble que l’on pourrait avoir un doute sur l’artiste en tant qu’individu autonome, en quelque sorte « séparé » ou coupé de ses origines, et créateur justement par le fait de cette coupure, qui rend possible l’acte créatif et novateur.
L’intérêt de cet ouvrage est de prendre le chemin inverse, et de montrer en quoi le contexte pèse sur le créateur, imprègne son esprit, sans pour autant l’empêcher d’être, de vivre, bien au contraire : le contexte local comme tremplin, rampe de lancement, milieu propice à l’émergence des idées et des pratiques notatrices. En quoi le contexte joue le rôle de terrain d’expérimentation des créateurs, en quoi l’environnement immédiat sert de matrice à la découverte du monde, à travers les sensations, les ambiances, les atmosphères dont les créateurs peuvent s’imprégner. Au lieu de faire semblant de nier l’importance de cette structure d’origine, il est intéressant de se demander en quoi les territoires, non seulement peuvent façonner l’esprit de ceux qui deviendront, peut-être, un jour des artistes ou des créateurs, mais aussi en quoi les territoires sont porteurs de processus collectifs de création. L’inverse doit être vrai également, à savoir : qu’est ce qui peut expliquer qu’un contexte local, un milieu d’origine, est en quelque sorte pathogène au sens où il peut brider les initiatives, tuer dans l’œuf l’esprit de création, « assassiner » les petits Mozart avant qu’ils ne puissent se révéler ? Car il serait naïf de croire que tous les territoires, tous les milieux sont propices, porteurs d’un potentiel de création. Certes, on peut faire l’hypothèse que le génie créateur, quel que soit son milieu d’origine, réussira à forcer le destin si l’on veut. On ne saura jamais ce qui n’a pas pu naître ou advenir du fait de facteurs contraires à l’épanouissement de l’homme et de l’esprit. La démonstration sera donc toujours insatisfaisante au plan intellectuel. Néanmoins elle mérite d’être tentée dans l’autre sens : comment faire émerger des processus de création en milieu local, à une époque qui donne tant d’importance à la question de la ressource humaine (cf séminaire OIPR du 8 novembre 2007 sur ce thème) ?
Une abondante littérature existe sur ce sujet, notamment de la part d’économistes ou de sociologues qui ont estimés qu’il y a, autour de la notion de créativité territoriale, des « gisements » de valeur potentiels. Ce qui ne veut pas dire pour autant que les créateurs sont en quelques sortes déterminés ou programmés par leur territoires cadres ou support, mais que cela peut contribuer, positivement ou non, à une expression collective allant dans le sens d’un acte créatif. On connaît à ce sujet les travaux du GREMI, Groupe Européen de Recherche sur les Milieux Innovateur, dont nous nous honorons d’enseigner dans un Master créé par Philippe Aydalot, grand économiste disparu aujourd’hui, qui est l’origine du GREMI. En fait, il s’agit là d’une activité de recherche qui prolonge et amplifie le travail fondateur d’Alfred Marshall, qui a compris, l’un des premiers, à la fin du 19éme siècle, que les territoires pouvaient, dans certaines circonstances, avoir une influence positive sur la capacité d’innovation des acteurs économiques et sociaux. On sait que les théories des « clusters », ou pour ce qui concerne la France, les Systèmes Productifs Locaux, et depuis peu les Pôles de Compétitivités, reconnaissent la réalité de ce phénomène de créativité dans les territoires, au point de redonner à la notion de territorialité toute sa force et sa capacité contributive à la société en générale (voir la notion d’écosystème de la connaissance Christian Blanc)
En quoi cet ouvrage nous apporte quelque chose de nouveau sur la question ? C’est qu’il approfondi la question du lien entre ce que l’on peut désigner par le terme d’esprit créateur et le terme de territoire en tant que cadre et support actif d’une activité créative.
Dans un premier chapitre, Christian Lemaignan se pose la question de la crise des représentation et des valeurs, le sentiment d’incertitude dans lequel notre société baigne, et qui enferme l’horizon, rend plus difficile l’expression d’un sentiment d’avenir, ou encore que l’avenir ne nous appartient pas. Une société sans avenir peut-t-elle être une société créatrice ? Mais comme il le dit avec un brun d’optimisme, il existe encore des futurs possibles. « Les mutations de nos repères exigent d’inventer des futurs possibles, de créer des zones d’autonomie temporaires, d’intensifier la densité des échanges. Une autre architecture mentale construit des espaces de liberté, gérés par une gouvernance humaniste au sein d’une civilisation émergente. Celle-ci est générée par des lieux de création qui irriguent nos territoires, où avec d’autres, en solidarité, nous initions des capacités de projet ».D’ailleurs, on peut se demander, si, dans un monde que l’on a globalement du mal à appréhender, et qu’il paraît difficile d’infléchir, sur lequel les individus que nous sommes n’ont guère de prise, l’échelle du « petit », des petites échelles, ou des petites mailles de l’espace comme des milieux sociaux, n’est pas le seul niveau dans lequel nous avons quelques chances de faire émerger une capacité d’agir, de création sociale ou humaine. Vieille idée d’ailleurs, incarnée par la notion du « small is beautiful ».
Ensuite, l’auteur nous livre une réflexion intéressante sur les processus de création. Il développe une réflexion personnelle autour de ce qu’il appelle les trois formes d’expression de la création : « L’être créateur » en son être fondamental, en son autonomie irréductible et comme expression d’une démarche intérieure, personnelle, intime, que l’on pourrait désigner par la notion d’âme du créateur. Ensuite, « l’encastrement social du créateur », l’idée que l’individu créateur est le produit d’une société, d’un milieu, d’une époque, dans lequel l’acquis social pèse lourd, et incite plutôt à la reproduction qu’à la création au sens fort du terme. Mais à vrai dire, dans la création, n’y a-t-il pas une part principale qui est en fait dédiée de la reproduction, à l’identique ou avec d’infiniment petites différences par rapport à ce qui est donné par la société ? L’activité artisanale du potier par exemple, qui reproduit à l’identique une modèle qui remonte dans la nuit des temps, mais qu’il va « interpréter » à sa manière, avec une forme légèrement différente, ou par un dessin de surface pas tout à fait identique, ne serait-ce qu’à travers des erreurs qui résultent d’une application non automatique du modèle ancestral… Enfin « l’individu créateur en société », qui rend possible un principe de changement, voire de révolution, en tous les cas, de rupture par rapport à l’acquis, de différent, que l’on désigne justement par la notion d’innovation. Or l’innovation, contrairement à l’image éculée du génie créateur dans sa tour d’ivoire, est pratiquement toujours le résultat d’un processus complexe, d’une itération réussie entre un individu et son milieu, mais jamais simple, toujours comme une sorte de jeu dialectique de l’un à l’autre, jamais gagnée d’avance, qui porte ou qui bride, mais qui, à travers ce mouvement, fait émerger des idées et des projets. Un jeu qui implique un effort du créateur, un engagement, une volonté, une discipline, une ascèse, l’acceptation d’une certaine marginalité, d’une mise à distance .Mais dans cette forme, la société locale ou le milieu social ne joue pas « contre », mais, de deux choses l’une : soit elle « laisse faire », manifeste une sorte de fausse indifférence, sur le mode « qu’il fasse ses preuves », soit sous une forme de portage collectif explicite et délibéré, dès lors que l’apprentissage collectif a déjà permis de donner à penser que la conduite de rupture peut générer une valeur nouvelle, qu’elle soit économique ou patrimoniale. Ainsi, dans cette troisième forme, il y a toute une variété de possibles.
Le point intéressant de cette troisième forme, notamment dans sa version de type « prise en considération », tient au fait qu’un acteur collectif apparaît sur la scène publique, à un moment donné » (toute la question est de savoir quel est ce moment donné), et qui va jouer le rôle de facilitateur de l’expression des conduites de rupture de la part de certains individus. Ce qui permet à l’être créateur, cette fois-ci replacé dans son contexte, de pouvoir s’appuyer sur une forme collective qui va jouer le rôle de tremplin ou de levier, ou de démultiplicateur de potentiel. Comment naît cette intelligence créative collective, c’est toute la question qui renvoie à la notion d’entrepreneur social.
L’entrepreneur social est « un porteur de projet au service d’un intérêt collectif et ou d’une finalité sociale. Le type de projet est fortement ancré dans son territoire et généralement inscrit dans le champ de l’économie sociale et solidaire » Cette définition est intéressante, bien qu’un peu restrictive, car l’entrepreneur social n’est pas forcément issu de ce milieu. Disons plus largement que le milieu associatif joue un rôle majeur dans cette émergence, car c’est une activité d’intermédiation qui ne peut pas entrer dans le cadre d’une activité économique classique, même si la « sortie » du processus peut prendre une forme marchande classique. Pour prendre quelques exemples, les Système Productifs Locaux sont en général animés par une équipe de 4/5 personnes, dans le cadre d’une association soutenue par une ou plusieurs collectivités. De même, les pôles de compétitivité. Ce qui tend à prouver qu’un système capitaliste « pure » n’est pas la forme la plus adaptée à la création, car entre le « rien » et « l’existant » au sens marchand du terme, il y a la plupart du temps une phase intermédiaire, non économique, plus dans le champ du sociétal, qui conditionne l’existence d’un processus économique (la théorie des coûts de transaction va dans le même sens) ;
Christian Lemaigan examine ensuite quel est le rôle spécifique des territoires dans le processus de création. Comment, dit vulgairement, la « mayonnaise » de l’acte créatif peut naître par l’intermédiation territoriale ?. Il fait à ce sujet une typologie intéressante, avec un jeu que quatre concepts qui donnent, mis deux à deux, un tableau sur lequel il est possible de classer les territoires. Nous avons en ordonné l’axe allant des territoires de projets (partie haute) aux territoires soumis (partie basse). Et en abscisse, les territoires allant de territoires réceptacles (sur la gauche) aux territoires créatifs (sur la droite) Ce qui permet de découper l’espace en quatre cadran. Dans le sens des aiguilles d’une montre : le cadran 1, territoire réceptacle/ territoires soumis (silence, autisme, féodalisme) ; cadran 2, territoires réceptacles : territoires de projet (coopération, économie patrimoniale, confluence, l’espace-lieu ; le cadran 3, territoires de projets/ territoires créatifs (réseaux, turbulences économiques, création par hybridation, et la cadran 4, Créatifs/ soumis (création interstitielle, marge, attente). Grille intéressante car elle permet à un territoire de se situer et donc éventuellement de changer de cadran, donc de mode d’intersession par rapport à la question des territoires créatifs.
Un petit chapitre, sans doute pas placé au meilleur endroit dans la logique de sa démonstration, sur le triangle grecque, à savoir : la techné (le matériel), la poeïésis (l’émotion) et le Sophon (la sagesse), devient la trilogie de l’existence créative, à savoir : la techné : l’agir, la poeïésis ( la croyance), et le Sophon (le savoir). Trois ingrédients majeur du processus de création : il faut du savoir (connaissance, savoir-faire, apprentissage), de la foi (y croire, s’investir, avoir de l’enthousiasme, une motivation) et d’agir (une capacité d’agir, de construire, de faire « bouger les choses »)
Enfin, chapitre majeur, la gouvernance créative des territoires, ou la relation entre créativité et territoire comme vecteur d’un potentiel de création. Il distingue à ce sujet les territoires comme ressource (financière, humaine, gisement de compétences réel ou virtuel), comme lien social (favoriser la communication au sein d’un territoire, faire participer la société civile locale, l’aider à s’exprimer), et enfin comme patrimoine (faire émerger les valeurs locales ancestrales ou actuelles, développer une nouvelle économie locale liée à son histoire profonde en redonnant vie à des savoir-faire ancestraux plus ou moins oubliés, mais qui, grâce à une hybridation avec des techniques modernes peut déboucher sur une nouvelle chaîne de valeur, binôme de tradition et de modernité…)
Reste à savoir comment faire, comment créer une ambiance favorable au développement de la créativité et de l’innovation sur les territoires ?
Selon Jacky Denieul, il y a plusieurs « angles d’attaque ».
Ces douze leviers doivent être mis en œuvre simultanément pour atteindre un effet de seuil. Mais cela demande du temps, de la patience et une certaine obstination. La création du monde ne s’est pas faite en un jour.
Nous avons oublié de signaler que ce petit ouvrage très riche s’appuie sur les expériences d’animateurs du développement local principalement situés en région Poitou-Charentes.